mardi 12 novembre 2013

France-Argentine, Me Taubira face au racisme et aux fantasmes

« La France accentue 
son orientation raciste »

Et le texte de l'entretien avec
 Mme Taubira au journal Libération

Par Eduardo Febbro – journaliste à Pagina 12 - Notes et traduction de Libres Amériques

Depuis París - Les attaques contre la Ministre de la Justice, Madame Christiane Taubira, ont élevé le paradigme français à son paroxysme sur la bassesse humaine. Une candidate de l’ultra-droite a mis sur sa page Facebook un photomontage de Mme Taubira représentée comme un singe. Phobie de l’Islam, phobie des Roms, phobie de l’étranger, phobie de l’Europe et, pourquoi pas non plus phobie du Monde. L’orientation raciste de la France s’accentue chaque année avec persistance et une impunité déconcertante. L’ancien président conservateur Nicolas Sarkozy avait lancé la xénophobie à la tête de l’Etat, et, une fois au pouvoir, certains socialistes sont entrés dans la brèche. 

Madame Taubira est née à Cayenne, en Guyane française et elle est, depuis sa nomination en 2012, victime de nombreux quolibets. 

Le dernier en date a déclenché dans le pays une forte controverse : Anne Sophie Leclere, une candidate du parti d’extrême droite, le Front National, a publié sur sa page Facebook un photomontage de la Ministre, la représentant en singe.

Depuis, suite à une série de manifestations ayant eu lieu dans le pays contre le mariage entre personnes du même sexe, diverses personnes ont exhibé des pelures de bananes dans la main et ont traité la Ministre de « gorille ». «  Je préfère voir, la Ministre accrochée à  une branche d’un arbre qu’au gouvernement » a déclaré l’exclue aujourd’hui du FN.

Dans un entretien publié par le journal Libération, la Ministre a réagi devant ces opprobres se répétant dans un climat où, sur les questions raciales et les opinions sur les étrangers, le tout, se valant sans que personne ne s’en offusque. « Ces attaques racistes sont des attaques contre le cœur de la République », a déclaré Mme Christiane Taubira dans l’entretien à Libération.

Dans sa réponse à une situation chaque fois plus sui generis, la responsable politique Française, auteur de la loi sur le mariage homosexuel, reconnaît la profondeur du mal et le caractère irréversible du changement de direction dans le pays  :

« Dans notre société, les choses vont en se détériorant ». « C’est la cohésion sociale qui est mise à bas, l’histoire d’une nation qui est mise en cause ». L’analyse de Mme Taubira est profonde et sans faux-fuyants : la titulaire du portefeuille de la Justice montre que ces excès procèdent d’un large glissement ». « Progressivement, et pendant l’ancienne présidence, il s’est construit un ennemi de l’intérieur. (Par) Ceux qui sont incapables de tracer un horizon, passant leur temps à expliquer au peuple français, qu’ils sont envahis, assiégés, en danger ».

Ce sont, en effet, les axes du discours de l’extrême droite. Mais pas elle seulement. De même, les socialistes à travers l’actuel ministre de l’intérieur, Manuel Valls, sont tombés dans ce glissement tragique consistant à pointer en direction de certaines catégories d’étrangers. Dans le cas de Manuel Valls, tel que l’a fait Nicolas Sarkozy et ses grossiers ministres de l’Intérieur, contre les Roms.

Consciente de la froideur officielle se constatant face à la répétition des agressions verbales de caractère raciste, Mme Taubira a mis en exergue (et conclue l'entretien par) : « Ce qui m’étonne le plus, c’est qu’il n’y a pas eu de belle et haute voix qui se soit levée pour alerter sur la dérive de la société française ». La ministre considère que face aux insultes et le racisme de l’extrême droite, « la réponse n’a pas été la hauteur ».

L’intervention publique de la titulaire du portefeuille de la justice révèle en filigrane la rupture au sein du gouvernement à l’intérieur de l’exécutif socialiste, autour du sujet des étrangers. Sans le citer, Mme Taubira pointe en direction du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, qui s’est distingué pour son attaque frontale contre les Roms, une minorité visible et scandaleusement persécutées dans toute l’Europe.

Monsieur Valls a dit que les Roms « ont pour vocation à retourner en Bulgarie et Roumanie ». En plus de les associés « à « la mendicité et à la délinquance », selon lui « ces populations ont un mode de vie considérablement différent des nôtres ». Ce n’est pas pour rien, qu’il est aujourd’hui le ministre le plus populaire du gouvernement de François Hollande.

Dans cet esprit, la responsable politique Française déclare, que depuis un an “ça fait un an qu’on débat là-dessus pratiquement tous les jours ! On continue à dire aux Français : Vous êtes 67 millions, mais continuez à mettre votre bouclier sur vos têtes parce que vous êtes assiégés au lieu de généraliser des réponses efficaces. (La parole politique doit être plus claire, plus déterminée, plus ancrée historiquement et plus projetée dans l’avenir.) » . 

Depuis Mme Taubira a précisé «  ça suffit de manipuler la communauté (française) ! ».

Le fantasme de l’invasion s’insinue, cependant, le spectre national, malgré le fait que les Roms soient seulement 17.000 personnes et les chiffres globaux en Europe en ce qui concerne l’immigration, loin de démontrer ce qui est affirmé.

Au sein de l’Union Européenne, il existe 30 millions de résidents nés hors de l’UE, ce qui équivaut à 6% d’une population totale de 500 millions de personnes. Le pourcentage de clandestin est estimé entre 4 à 5, et 8 millions de personnes, ou soit entre 0,97% et 1,37% de la population européenne.

A titre comparatif aux Etats-Unis, il existe 12 millions de clandestins pour une population de plus de 300 millions de personnes. Mais la peur de l’invasion, d’une pénétration culturelle, navigue sur le spectre et le fantasme que l’extrême droite et ses imitateurs ont placé dans la conscience nationale.

Il n'existe même pas de respects pour les Français. Il y a quelques jours, quand quatre Français séquestrés pendant trois ans au Níger ont été libérés, la responsable du Front National, Marine Le Pen, commentant les barbes et les foulards autour du cou que les hommes portaient. Marine Le Pen a déclaré, que cette forme d'habillement méritait « des explications », parce qu'elle a vu dans ces toilettes, le danger d'hommes capturés et revenant des années après à leur pays  convertis à l'islam.

Du pur imaginaire, mais à force de répéter et de répéter, l'imaginaire occupe le lieu du réel et devient haine, une dépréciation. Une descente vertigineuse dans la gueule du loup.

Notes de Libres Amériques en complément de l'article de Pagina 12

La France sur une pente sinueuse, voire perpétuelle, celle du racisme, et elle ne peut que provoquer de la honte et de l’effroi. Il est significatif qu’un journaliste argentin donne un éclairage très lucide sur les « paradoxes » que dénonce Madame Taubira dans son entretien à Libération, le 5 octobre 2013. (après les notes)

Et le journaliste argentin va même plus loin, car il fait une présentation et certains parallèles peu flatteurs sur le ministre Manuel Valls. Qui n’est en pas à son premier dérapage (1), bien qu’élu d’une ville à forte population africaine (du Nord et de l’Ouest), Evry. Une ville moyenne dont le visage est l’image de ce pays dans les classes populaires, avec toutes ses contradictions et séparations, bien plus sociales et en en rapport avec les espaces, que le résultat de différences culturelles.

Le racisme est un mal absolu, et à caractère universel, le fond de l’infécond de la bêtise humaine et la chose la mieux partagée au monde, un domaine sans frontières et sans limites, plus ou moins exacerbé selon les époques, mais toujours présent dans les esprits étroits, rigides et parfois malades.

On pourrait avoir l’impression que point de salut hors des frontières mentales et approches paranoïaques du monde, que certains développent en visant à faire de tout ce qui est semblable, pardon de « l’étrange » étranger, l’objet d’un racisme, d’une haine, qui dans le pire des cas a pour but de déshumaniser la richesse de l’autre et l’ouverture au monde.

Et par ailleurs fini par écorner l’image de la France à l’internationale et l’engager dans une pente dangereuse, à contresens du respect que nous devons à l’égard de l’Humanité, à laquelle nous appartenons tous.

Pourquoi surgissent ainsi de vieux fantômes du passé ? que se passe-t-il au sein d’une société en partie malade et révélateur du vieux fonds de commerce contre l’étranger, qui  fonctionne quant à lui à plein régime depuis au moins 2007. Source d’un débat piégé sur l’identité nationale, quand certains cherchent à figer les repères, un folklore indigeste, qui en dit long sur leurs auteurs.

La donne n’est pas du seul ressort de quelques factions fascisantes ou néo-nazies, ni même du seul FN, ce parti classé justement à l’extrême droite de l’échiquier par le journaliste de Pagina 12. Mais, celui d’une réalité bien plus inquiétante, il s’agit de toutes les sphères politiques, elles sont toutes, à une échelle variable concernées, de l’extrême gauche au centre, aux pires fanges fascistes peuplant cet imaginaire infécond ou l’autre, le monde n’est que danger et complots croupissants.

Le malaise est très profond et très ancien en France, et la tendance à faire lien avec les années 1920 et 1930 et la montée des fascismes en Europe, mais cela n’explique pas tout, et même a un peu tendance à embrouiller les esprits.

Mais comment oublier cet Etat français, qui collabora et chanta à tue tête « Maréchal nous voilà »,  et qui dans le recyclage de l’après guerre devint la fameuse « majorité silencieuse », et se traduisant de nos jours par un racisme consenti, même au sein des « élites » de ce pays.

Et finalement, ils ou elles ne sont pas si nombreux ceux s’interrogeant vraiment sur les véritables fractures intervenues après 1945 et la fin de l’Empire colonial français, et surtout sur les mentalités et les non dits d’une « France profonde » peu reluisante, et du 6 février 1934 à nos jours…

Une « France blafarde », sombre, des petits-bourgeois, possédants et petits notables, qui dès les années 1950 s’enflammèrent pour le poujadisme. Puis  de nouveau pour le FN, qui en 1983 s’empara de la Ville de Dreux avec le RPR (ancêtre de l’UMP) et vit en 1985, aux élections européennes des députés fleurons de cet esprit politique minimaliste et racialiste siéger au Parlement au Européen, puis à l’Assemblée nationale l’année suivante. Fermons la parenthèse.

Car sur l’objet raciste et s’il y a à jeter un œil en arrière, il serait temps de se demander mais comment en est-on arrivé aussi bas dans l’expression publique et aussi politique ces 30 dernières années ?

Il y a à craindre que soit évité l’essentiel, c’est-à-dire, pourquoi le racisme est toujours aussi diffus dans la société française, ou quel est son vrai visage ? Qui sont ces obscures ? Qui sont ces « petits blancos » qui ont peur de l’avenir et se réfugiant dans le pire des registres, et attirent certains à gauche pour glaner quelques voix, points de sondage ou mécontentements d’une grogne haineuse ?

Après trente ans de Lepenisme, faire la liste des symboles et principes, voire tabous qui sont partis en éclat, reviendrait à une longue litanie sur l’infâme et la bassesse des sentiments humains. Plonger son nez dedans est à coup sûr une remontée de nausée assurée, mais l’indignation ne peut suffire.

Et comme l’a précisé Mme Christiane Taubira, ce n’est pas simplement elle qui a été touchée par les infâmes propos et manifestations de haine, mais surtout les plus fragiles au sein des classes populaires, qui ont pour défaut de ne pas ressembler aux critères d’une société s’alimentant des non-dits et de la haine. Sans omettre une responsabilité de la presse TV et notamment Internet qui atteint régulièrement des sommets dans la nature des délits racistes et de la responsabilité à propager de tels propos.

Note :

(1)  Lors d’un reportage  sur le chef lieu du département de l’Essone, dont Manuel Valls était Maire et député, avait demandé aux preneurs de vue de prendre un peu plus de « blancos » (cela veut dire aussi cible en espagnol…) ou de « whites » (blancs). 


Journal "Libération" du 5 octobre 2013
«Des inhibitions disparaissent, 
des digues tombent»


Propos Recueilli par Sonya Faure et Fabrice Rousselot

Pour Christiane Taubira, les attaques racistes dont elle fait l’objet sont plus que des simples «dérapages». La ministre de la Justice, Christiane Taubira, a accepté de parler longuement, pour la première fois, des violentes attaques qu’elle a subies ces derniers mois - et qui n’étaient pas les premières. Mais, surtout, de son inquiétude sur une France où quelque chose «se délabre».

Vous avez subi des injures racistes d’une enfant, lors de manifestations contre le mariage pour tous. Cela vous a surprise ?

Venant d’une préadolescente, forcément. Cela renvoie évidemment à ses parents, au cadre familial, à l’éducation - je suis triste, en réalité, pour elle. Mais cela dit, plus profondément, que dans notre société, des choses sont en train de se délabrer. Au-delà de mon cas, ces attaques racistes sont une attaque au cœur de la République. C’est la cohésion sociale qui est mise à bas, l’histoire d’une nation qui est mise en cause.

Constatez-vous plus généralement un dérapage de la parole publique ?

Ce ne sont pas des dérapages, qui sont des inattentions, c’est infiniment plus grave ! Il s’agit très clairement d’inhibitions qui disparaissent, de digues qui tombent. Cela ne date pas du mois dernier : en réalité, nous l’avons vu venir. Je ne vais pas vous faire le florilège de ce à quoi j’ai eu droit depuis que je suis aux responsabilités : les propos qui ont accompagné ma nomination [«Quand on vote FN, on a la gauche et on a Taubira», avait alors dit Jean-François Copé, ndlr], l’hystérie pendant les débats sur le mariage pour tous, les choses qui circulent sur Internet… Le «gorille», j’y avais le droit dès le début de l’année, de la part d’opposants au mariage pour tous. Le cabinet s’inquiétait de savoir s’il fallait porter plainte, je leur ai dit qu’on avait autre chose à faire.

Il y a donc eu des signes précurseurs ?

Je me ramasse depuis longtemps du «macaque», du «Y a bon Banania», par des manifestants ou des élus qui l’écrivent sur leur site internet. Il y a aussi quelque chose de très subtil que personne n’a relevé : lors des manifestations anti-mariage gay, des slogans clamaient : «Taubira, t’es foutue, les Français sont dans la rue.» On a l’habitude de lire «T’es foutu, les parents sont dans la rue» ou bien «les médecins sont dans la rue…» Mais, dans mon cas, on peut dire : «Les Français sont dans la rue.» Etape par étape, les choses ont surgi et on s’y est habitué, on s’en est accommodé, on n’a pas voulu les lire.

Cette «attaque au cœur de la République» est-elle le fruit d’un glissement progressif ou plus brutal ?

C’est un long glissement… Périodiquement, et encore sous le dernier quinquennat, on a construit un ennemi intérieur. Ceux qui sont incapables de tracer un horizon passent leur temps à dire au peuple français qu’il est envahi, assiégé, en danger. Ils prospèrent sur la doctrine du déclin. Il y a eu des étapes : le fameux débat sur l’identité nationale (même s’il a fait un flop), le débat sur l’islam (même s’ils l’ont désigné «débat sur la laïcité», avant d’y renoncer), le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale [mis en place en 2007 par Sarkozy], qui était choquant par le lien qu’il faisait délibérément entre ces deux enjeux… Mais il y a un paradoxe intéressant de la société française. On a parfois l’impression, sondages à l’appui, d’un soutien massif de l’opinion publique aux discours d’exclusion, aux propos racistes. Et lorsque les responsables politiques qui l’utilisent sont sûrs d’emporter l’adhésion du plus grand nombre, ils franchissent toujours la ligne de trop. Ils l’ont franchie il y a quelques années lorsqu’ils ont fait arrêter des gamins devant les écoles pour les expulser. RESF [le Réseau éducation sans frontière] est né à ce moment-là, avec des enseignants et des parents.

Assiste-t-on à un déplacement de la parole politique ? A une droitisation qui ferait sauter des interdits dans l’opinion ?

Il y a deux sujets : la classe politique et la société. Du côté politique, il n’y a pas forcément de stratégies pensées, mais des calculs au jour le jour, une cascade de tactiques. Incontestablement, l’opposition a un problème d’identité, de filiation politique : qui est-elle ? Comment prend-elle le relais de son histoire ? Quel chemin trace-t-elle ? On a connu une droite plus républicaine. Et puis il y a la société. Les sociétés européennes peuvent se boucher les yeux, mais leur histoire a fait qu’elles sont plurielles. Elles ont oublié comment la nation s’est construite, et ceux qui ont la parole ne le rappellent pas.

Cette banalisation de la parole discriminatoire a-t-elle à voir avec l’institutionnalisation du Front national ?

Incontestablement. Même si Mme Le Pen fait semblant d’être présentable, les Français savent ce que représente son parti - et son idéologie, qu’elle n’a d’ailleurs jamais reniée. Mais cette banalisation du FN est plus de la responsabilité de ceux qui la pratiquent que d’elle qui la suscite ! La banalité avec laquelle ce parti est aujourd’hui présenté ! On a l’impression que c’est un parti né à la dernière présidentielle. Il n’a aucune clarification à apporter sur son passé, ses choix, ses orientations. Il suffit juste qu’il n’en parle pas à haute voix. Les Français prennent donc acte qu’une organisation avec un tel héritage est un parti comme les autres. Pourquoi alors ce qu’il porte ne serait pas acceptable dans la société ?

C’est aussi à la gauche, et au gouvernement, de délivrer une parole forte. L’affaire Léonarda a donné lieu à des débordements. Ne faudrait-il pas clarifier la politique française de l’immigration ?

Les responsables politiques, quels qu’ils soient, doivent parler clairement - que ça concerne la politique d’immigration, fiscale ou autre. Maintenant, lorsqu’on regarde les chiffres de l’immigration, il faut arrêter d’en faire un feuilleton quotidien ! En quoi l’immigration est-elle un problème ? En quoi met-elle en danger la société française ?

Mais ça, il faut le dire ! Il faut dire qu’il n’y a que 15 000 Roms en France !

Oui ! Et ça fait un an qu’on débat là-dessus pratiquement tous les jours ! On continue à dire aux Français : «Vous êtes 67 millions, mais continuez à mettre votre bouclier sur vos têtes parce que vous êtes assiégés» au lieu de généraliser des réponses efficaces. La parole politique doit être plus claire, plus déterminée, plus ancrée historiquement et plus projetée dans l’avenir.

Cette banalisation de l’expression raciste s’accompagne-t-elle d’une hausse de délits - injures antisémites, sexistes ou homophobes, violences racistes ?

Oui. Au premier trimestre 2013, 1 500 plaintes ont été enregistrées. Elles sont constituées à 73% d’injures et de diffamations, mais aussi de dégradations (tags sur les tombes par exemple) ou de violences. Au premier trimestre 2012, il y en avait eu 1 300. Et on sait bien qu’il y a beaucoup moins de plaintes que de cas. En juin 2012, j’ai adressé aux parquets une circulaire pour qu’ils organisent de manière plus systématique la lutte contre le racisme ou l’antisémitisme. Je les ai engagés à tenir informés les élus, les associations et les instances confessionnelles, car il est bon qu’au niveau local, chacun connaisse l’ampleur du phénomène. J’ai fait vérifier que chaque cour d’appel abrite bien un pôle antidiscrimination. J’ai demandé à l’Ecole nationale de la magistrature de monter une formation pour les magistrats, gendarmes, policiers et avocats. Elle a été inaugurée en juin. Nous avons réactivé la plateforme Pharos, qui permet le signalement de délits liés à la cybercriminalité.

Que faire face à ces propos ? En parler, les poursuivre en justice au risque de leur donner de l’écho ? Ou les ignorer ?

La réponse judiciaire est indispensable : il faut rappeler que le racisme n’est pas une opinion, c’est un délit. Mais elle ne suffit pas : on ne peut pas demander à la seule justice de réparer les pathologies profondes qui minent la démocratie. La question est éthique plus que morale : il ne s’agit pas de savoir si c’est bien ou mal d’être raciste, mais de déterminer quelle est l’éthique de notre société. A partir du moment où nous faisons destin commun, nous acceptons les principes de la République. C’est la logique du droit du sol et c’est ce qui a balisé toute l’histoire de France. Il faut voir ces attaques, les entendre, même s’il ne s’agit pas de les comprendre. Il faut les dénoncer et les combattre. Des millions de personnes sont mises en cause quand on me traite de guenon. Des millions de gamines savent qu’on peut les traiter de guenons dans les cours de récréation !

Avez-vous été déçue par la faiblesse des réactions qui ont suivi les attaques dont vous avez été victime ?

[Soupir] J’ai eu beaucoup de messages de soutien. Les gens ont réagi sur ma personne or, le sujet, ce n’est pas ma personne. Il est grave, il concerne le lien social, la République. Que valent les institutions quand on attaque de la sorte la garde des Sceaux ? 

Est-on encore capable de réagir lorsque la société est ébranlée sur ces fondations ? 

Les réactions n’ont pas été à la mesure. Il y a eu la question au gouvernement de Jean Glavany à l’Assemblée, l’interview de l’historien Pascal Blanchard elles sont justes, mais ce sont des analyses, pas une alerte, dans le sens où des consciences dans la société française pourraient dire : « Attention, ce n’est pas périphérique, c’est une alarme.» Ce qui m’étonne le plus, c’est qu’il n’y a pas eu de belle et haute voix qui se soit levée pour alerter sur la dérive de la société française.


Source d’origine en espagnol : Pagina 12