mercredi 13 novembre 2013

Brésil, les inégalités sociales et économiques restent fortes

Une inégalité 
qui résiste toujours 

Et le livre, "L'invention du Brésil" 

Par Jean-Jacques Fontaine 

En 2012, 4 millions de brésiliens sont sortis de la pauvreté et 1,8 millions d’autres ont pu échapper à l’extrême dénuement. Mais la fortune des 1% les plus nantis a plus augmenté (+10,8% par rapport à 2011) que celle des 10% les plus démunis (+6,6%).  La misère recule mais l’inégalité repart à la hausse, peut-on lire dans les conclusions de l’étude PNAD 2012, « étude annuelle par échantillon de domiciles », et du diagnostic « portrait de l’habitat » de l’IBGE, l’Institut brésilien de statistiques. Après 10 ans, la politique de redistribution des bénéfices de la croissance marque le pas, malgré ses effets indéniablement positifs, et les vieux démons du pays, éducation déficiente, ségrégation à l’accès à la pleine citoyenneté par l’habitat qui font le lit  des inégalités marquent toujours le paysage.


L’ONG Ethos, dont l’objectif premier est de qualifier la pratique sociale des entreprises, s’est intéressé aux politiques publiques en publiant en 2013 son premier « Indice global du Progrès Social ». 

Le Brésil figure au 18° rang des 50 pays examinés. Il est mieux classé que la Russie, la Chine et l’Inde, mais moins bien que le Chili et l’Argentine. Points forts du Brésil, note Michael Porter, professeur à l’Université de Harvard, qui a élaboré cet indice, sa capacité à transformer la croissance en progrès social et sa tolérance vis à vis des minorités, points faibles,  la sécurité publique et l’accès aux études supérieures.


Le plein emploi moteur paradoxal de l’inégalité


En 10 ans, le transfert de richesses vers les plus pauvres via la Bourse famille s’est bel et bien réalisé : les brésiliens les plus pauvres, qui disposent de moins de 83 R$ par mois et par personne (33 CHF / 27 €) ne sont plus que 4% de la population soit moins nombreux que les plus riches, (plus de 2’550 R$ mensuels par personne – 1’020 CHF / 825 €) qui sont 5,2%. En 2003, le rapport était de 11,1% pour les plus pauvres à 3,1% pour les plus riches.


Ce déplacement n’a cependant pas modifié l’écart entre riches et pauvres, ce qui était son objectif. Et l’inégalité persiste paradoxalement à cause du plein emploi estiment les analystes : le chômage à baissé de 6,7% à 6,1% entre 2011 et 2012 et les salaires ont augmenté de 5,8%, « mais ce sont ceux qui sont au top de la pyramide qui en ont le plus bénéficié » constate Sonia Rocha, économiste au IETS, l’Institut d’Etudes Travail et Société de Rio de Janeiro. 

La hausse des salaires a été de 10% pour ceux qui reçoivent plus de 17’000 R$ par mois (6’800 CHF / 5’500 €). Au bas de l’échelle, cette hausse moyenne n’a été que de 1,4%.


La faute à l’école

Que conclure de cette avalanche de chiffres ? Deux choses : la hausse des emplois est majoritairement le fait de l’augmentation du nombre des travailleurs les moins qualifiés, payés au salaire minimum de 680 R$ par mois (272 CHF / 220 €), alors que le marché demande de plus en plus de main d’oeuvre qualifiée. La pénurie dans ce secteur fait donc grimper les salaires. Et elle est la conséquence du bas niveau de formation de la force de travail brésilienne.

En cause, d’abord les carences de l’école primaire. Seuls 15% des élèves accèdent à l’université. Et moins de 1% au sein des classes sociales défavorisées. La Bourse famille a sorti des millions de gens de la misère, elle a envoyé tous les enfants en classe ou presque, mais elle n’a pas réussi à démocratiser l’école…

Pire, estime Miriam Leitão, éditorialiste d’un grand quotidien, il y avait 300’000 analphabètes de plus en 2012 qu’en 2011. « Cette dégradation n’est pas due à une croissance du stock d’analphabètes chez les personnes âgées, mais à une augmentation chez les jeunes, par négligence de la part des pouvoirs publics ces dernières années ». 

Le chiffre de ceux qui ne maîtrisent pas la lecture et l’écriture au Brésil est aujourd’hui de 13 millions de personnes.


Apprendre à pêcher…


La Bourse famille a subsidié les familles au lieu de leur apprendre comment faire pour gagner leur vie, tempête Edmar Bacha, un des responsables de la mise en place du Plan Réal de lutte contre l’inflation en 1994, qui dirige aujourd’hui l’Institut d’Etudes économiques « Casa das Garças » à Rio de Janeiro : « pour que l’impact du transfert de richesse soit visible à long terme, il faut enseigner aux gens comment pêcher au lieu de distribuer le poisson ».

Il est vrai que 45% des foyers qui recevaient la Bourse famille en 2003 sont encore les subsidiés d’aujourd’hui. Ce sont les enfants et petits-enfants des premiers bénéficiaires qui sont maintenant aidés, mais cela représente toujours 23 millions de personnes qui ne peuvent pas se passer de l’appui de l’Etat. La Bourse famille fait en quelque sorte du surplace.


L’habitat comme instrument d’apartheid social.


L’étude que l’IBGE a menée sur 89 municipalités à partir des données du recensement 2010 montre que l’inégalité sociale se marque aussi sur le lieu de résidence. Ce qui sépare le plus les habitants des favelas de ceux du reste de la cité, c’est le manque d’accès à internet, à la mobilité individuelle, soit la voiture et à l’université. 

A Rio de Janeiro et São Paulo, les foyers situés dans les favelas comptent le même pourcentage de frigos, de cuisinières, de micro-ondes et de téléviseurs que le reste des habitations, mais l’accès à internet y est limité à 20% d’entre eux contre 48% pour l’ensemble du pays. 27,8% des habitants des favelas possèdent une voiture ou une moto cantre 59,4% dans le reste de la population.

Seuls 1,3% des habitants des favelas ont terminé l’université, contre 20% dans le reste de la population en 2011. « Les programmes d’aide et les actions affirmatives du type ProUni n’ont pas donné les résultats escomptés », constate Itamar Silva, directeur d’IBASE, l’Institut brésilien d’analyses socio-économiques.  

Conséquence, dans les favelas, 31% des foyers ne disposent que d’un revenu moyen par personne d’un demi-salaire minimum, contre 13% qui sont dans cette situation pour le reste de la population.


Le manque de qualification, un vecteur de la misère


Les différences régionales accentuent l’inégalité : dans les favelas du Nord-Est, 40% des foyers vivent avec un revenu extrêmement bas. A Macapá, en Amazonie, 48% des emplois dans les favelas émargent au secteur informel, contre 29% ailleurs. 

Pourtant, un des effets de la croissance et de la redistribution de ses bénéfices a été la fin de l’émigration vers les pôles économiques du Sud-Est, et même « l’émigration en retour » vers leurs régions d’origine des populations du Nord-Est, à cause du développement économique nouveau de ces régions.

Sauf que ce développement s’est fait sans innovation, et en recourant à de la mains d’œuvre majoritairement non qualifiée, explique Jacques Marcovitch, professeur de relations internationales à l’Université de São Paulo et consultant du World Economic Forum à Genève : 

« cette émigration de retour, dans les conditions où elle a eu lieu, n’a fait que disséminer  à travers tout le pays la misère qui était jusqu’alors concentrée dans les grandes métropoles ».


Une favela. C’est quoi au juste ?


L’IBGE définit le terme de favela comme un « agglomérat sous normal d’au moins 51 unités d’habitation sans titre légal de propriété présentant une des deux caractéristique suivante : absence de critères d’urbanisation pour les habitation et les voies de communication et/ou carence des services publics essentiels comme le ramassage d’ordures, le tout à l’égout, l’adduction d’eau potable et l’éclairage public. ». 

En 2010, le recensement national a comptabilisé 6’329 favelas dans tout le pays, abritant 11,4 millions de personnes dans 3,2 millions de foyers. 11’000 de ces domiciles (0,3% du total) étaient installés sur d’anciennes décharges ou sur des sites contaminés. Et 42,9% de l’ensemble des habitations du pays n’étaient toujours pas raccordées au tout à l’égout.

Livre cherche éditeur : "L'invention du Brésil"

(...) Après 9 mois de gestation, je peux vous annoncer la naissance de « L’invention du Brésil », ou comment « de crises en crises, un géant s’affirme ». L’ouvrage survole les différentes facettes de la créativité de ce pays et les obstacles qu’il lui faut aujourd’hui surmonter pour tenir son rang dans le concert du monde. 

Vision Brésil a été ma principale source d’inspiration, mais j’ai ajouté certains articles que j’avais écrit dans les années 1980.
 
La question est de savoir maintenant si ce manuscrit sera un jour sur les rayons des librairies, car les éditeurs ne se bousculent pas au portillon. Je ne suis évidemment pas aussi connu que Michel Houllebecq et « L’invention du Brésil », n’est pas vraiment un roman glamour pimenté de la dose nécessaire de sexe pour assurer son succès mais ceux qui m’ont fait la faveur d’en lire le premier jet l’ont apprécié. 

Au milieu des critiques justifiées qu’ils m’ont adressées et qui m’ont permis d’effectuer des corrections bienvenues, ces « amis relecteurs » ont relevé « l’aspect complet et exhaustif d’un ouvrage qui décrit l’évolution récente du Brésil à partir de ses habitants, son économie, sa nature et ses institutions. Un travail de fond, avec le recul bienvenu d’un regard professionnel extérieur sur ce pays. »

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Source : article et photos de Vision Brésil